Dans le sud de la Hongrie, les populations se radicalisent face à l'immigration clandestine

Les riverains de la frontière serbe se sentent pratiquement abandonnés par l’État central. Les habitants se plaignent d’avoir une police en sous-effectif et en manque d’équipements ainsi qu’un gouvernement qui refusent de dédommager les dégâts causés par les migrants. En réponse les gens se radicalisent, agissent d’eux-mêmes et se tournent vers l’extrême droite.


Dans le sud du pays à la frontière serbe, les populations hongroises se radicalisent face à l’immigration clandestine. Plusieurs communes ont créé des associations locales de Gardes civils [Polgaror]. Ces auxiliaires viennent en soutien d’une police jugée, par des élus et la population, en sous-effectif et mal équipée. Composées de volontaires, ces unités se considèrent comme une force de sécurité communautaire et évoluent principalement dans les zones rurales et les petites communes. Leur mission est de patrouiller le long de la frontière près de leur localité, d’intercepter les migrants et de prévenir la police, seule habilité à les arrêter, à les interroger et à les transférer hors du pays, vers la Serbie. Les Polgaror ne sont pas des forces de police officielles et ne possèdent pas les mêmes droits,notamment dans l’utilisation de la force. Ils agissent sous la supervision et la coordination de la police et sont considérés comme des auxiliaires. En tant que bénévoles et issus d’associations locales, ces gardes civils ne reçoivent pas de salaire ou de soutien financier de l’État hongrois. Malgré la sympathie des populations locales envers les forces de police et la mobilisation de volontaires, les habitants considèrent qu’elles sont en sous-effectifs face aux dizaines de milliers de clandestins. Cependant, un nombre important de migrants et d’humanitaires dénoncent les violences physiques et morales employées par la police hongroise et ses auxiliaires. Les défenseurs des forces de l’ordre affirment que face au manque d’équipement, au sous-effectif et au nombre de migrants ils n’ont pas d’autres choix que d’utiliser la force. Ce qui accentue les tensions et la radicalisation dans la région. Le chef de la police municipale de Szeged annonce avoir interpellé plus de 51 000 personnes depuis le début de l’année[1]. Des chiffres contestés par certains locaux, dont Tibor Papp, maraîcher près du village du Ruzsa :« Selon les agents en patrouille dont j’ai fait la connaissance, il s’agirait en réalité de trois ou quatre mille migrants qui passeraient chaque jour la frontière et la police en arrêteraient en moyenne entre huit-cents et neuf-cents par jour.[2] »Au-delà des risques sécuritaires engendrés par la violente compétition que se livrent les différentes filières de passeurs, l’immigration clandestine bouleverse l’économie locale.

[1]Entretiens réalisés en juin 2023  [2]Ibid

Une population qui setourne vers les extrêmes.

En effet, les passages d’un nombre important de migrants ont un impact non négligeable sur l’économie locale. Les cultures,vivrières ou arboricoles, sont piétinées par des migrants qui recherchent le chemin le plus direct pour rejoindre les passeurs qui doivent les emmener en Europe. Les personnes qui traversent illégalement la frontière trouvent leur nourriture et leur eau sur le chemin. Ils ramassent fruits et légumes dans les serres et les plantations, endommagent les systèmes d’irrigation pour pouvoir s’abreuver,surtout durant l’été en période de forte chaleur. Certains cultivateurs ont dû changer leur type de production pour protéger leur gagne-pain. Ils ont par exemple abandonné la culture du melon, consommable une fois mure, pour se tourner vers la pomme de terre qui est immangeable crue. Mais ces tactiques ne peuvent pas les protéger complètement. Selon Papp Renáta, mairesse de la petite ville d’Ásotthalom, depuis mai 2022 les passages des clandestins auraient engendré plus de 271 000 euros de dégâts pour cette seule localité. Les agriculteurs locaux ont, à leurs frais, installé des clôtures, des caméras et des détecteurs de mouvements pour tenter de protéger leurs récoltes. Malgré plusieurs requêtes auprès des ministères de l’Agriculture et de l’Intérieur, le gouvernement hongrois refuse de rembourser les dégâts. Une position dénoncée par les populations locales, frustrées par les choix de leur gouvernement. Paradoxalement des agriculteurs interrogés soulignent ne pas avoir d’animosité particulière envers les migrants eux-mêmes. Ils pointent du doigt les réseaux de passeurs et surtout les dégâts causés par l’immigration clandestine. Se sentant abandonnés,certains habitants du sud de la Hongrie délaissent le parti au pouvoir, le Fidesz, pour se tourner vers des partis extrêmes comme celui de Papp Renáta, le« Mouvement Notre Partie ». Le Mouvement Notre Patrie (Mi HazánkMozgalom en hongrois, abrégé MHM) est un parti politique d'extrême droite en Hongrie, fondé le 23 juin 2018 à Ásotthalom par László Toroczkai, Dóra Dúró et Előd Novák. Le parti affiche ouvertement des positions homophobes, anti-tziganes et antisémites. En outre, il cherche à se positionner politiquement plus à droite que le Fidesz dans ses discours hostiles envers les migrants. Le MHMprône la réintroduction de la peine de mort et en mai 2019, il a annoncé la formation de la Légion nationale, une milice dont l'objectif est de lutter contre ce qu'il qualifie de "criminalité tsigane." Sur le plan électoral, le parti compte six députés, huit élus régionaux et trois maires dans les villes d'Ásotthalom, Cserháthaláp et Devecser.

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